Renaulution : chez Renault, la révolution sera aussi numérique

Début 2021, le constructeur a entamé une véritable mue touchant l’ensemble de ses services avec la volonté de devenir un groupe automobile de nouvelle génération. Dans ce plan stratégique, la généralisation du jumeau numérique global figure désormais en bonne place. Fin 2022, «Renaulution Virtual Twin» s’impose à l’ensemble du groupe, s’appliquant déjà à un premier véhicule.

Avec ce plan, le géant de l’automobile compte bien modéliser l’ensemble du cycle de vie de ses véhicules. Du processus de développement, aux tests de production, en passant par les achats, la fabrication et même jusqu’à l’après-vente, rien n’y échappera! L’objectif est de supprimer les silos et fiabiliser les process, d’accélérer les prises de décision et de baisser les coûts et les délais de production.

«Le marché automobile rencontre de nombreux challenges tels que la transition énergétique avec les véhicules électriques, l'explosion de la connectivité et de fonctions sophistiquées d’aide à la conduite et véhicules autonomes, sans oublier les contraintes réglementaires de plus en plus appuyées par exemple sur l’Euro7 ou l’émission de carbone, affirme Olivier Colmard, Vice Président Engineering Division Integrated CAE & PLM de Renault Group. Renaulution Virtual Twin a pour ambition de répondre à ces challenges en construisant la colonne vertébrale pour gérer toutes les données produit tout au long du cycle de vie. Il repose sur trois piliers : développer des processus de production agiles et robustes, maîtriser le développement des systèmes logiciels et désiloter tous les métiers dans l’entreprise, qui vont pouvoir collaborer ensemble, en favorisant la collaboration 3D».

Gagner 60 semaines, de l’idée à la commercialisation d’un véhicule

Comme le montre le schéma ci-dessus, tout le cycle de vie, de la conception à l’après-vente est concerné par le programme avec des objectifs très clairs: réduire les coûts et le temps des projets. «Il s’agit d’être plus efficace. Les simulations virtuelles favorisent une baisse de 50 % des coûts liés aux tests physiques et de 30% des coûts de validation, affirme Olivier Colmard. Aujourd’hui déjà, nous sommes en mesure de développer, de simuler et de tester totalement en numérique. Notre objectif est d’être bons du premier coup lorsque nous validons «en vrai» ce que nous avons développé en numérique». Et la phase de conception n’est donc pas la seule concernée par cette transformation numérique. Selon les projections, RVT va même permettre de faire gagner un an sur l’ensemble du cycle! Entre l’idée d’un véhicule et sa commercialisation en concession, il ne faudra en moyenne que 150 semaines contre 210 actuellement…

Pour l’heure, ces estimations ne sont pas encore vérifiées, mais cela ne devrait pas tarder. RVT est mis en production depuis quelques semaines. Le jumeau numérique global sert dans les phases de démarrage d’un premier projet, un nouveau modèle véhicule utilitaire électrique destiné aux besoins urbains. Les équipes ont été formées dès le 3 décembre 2022 et l’aboutissement du «FlexEVan» est prévu pour 2027. Son design, sa tenue de route, son aérodynamisme, sa résistance et sa performance en cas de choc, tout sera calculé et visualisé en numérique. La fabrication sera elle aussi simulée à partir d’une usine virtuelle pour optimiser la production, sans oublier le suivi d’après-vente.

Un partenariat fort avec Dassault Systèmes

La rapidité de mise en route de RVT n’est pas étonnante, car Renault Group dispose déjà d’une bonne maitrise de la digitalisation, avec une transformation numérique bien engagée. «Depuis 25 ans, nous avons noué un partenariat très fort avec Dassault Systèmes, confie Denis Molle, Vice Président Engineering I.S. de Renault Group. À un point tel qu’une équipe 3DS dédiée est constamment présente à nos côtés sur le plateau du Technocentre. Chaque mois, nous faisons même un point de gouvernance avec Bernard Charlès, le CEO de Dassault Systèmes auquel nous sommes directement attachés, afin d’assurer un suivi de prés et au plus haut niveau du projet».

La seule «erreur» de Renault (faite en son temps par beaucoup d’organisations, quel que soit le secteur d’activité d’ailleurs) a été de vouloir totalement intégrer des outils comme DELMIA ou ENOVIA en une sorte de plate-forme maison. «Peu à peu, nous l’avons customisée selon nos besoins, mais nos développements n’ont jamais réussi à atteindre ceux que l’éditeur faisait de son côté, reconnaît Denis Molle. Pour nous, il est désormais impossible d’envisager toute utilisation qui ne soit pas «Out-Of-The-Box» comme l’est la plate-forme 3DEXPERIENCE hébergée sur le Cloud. Bien évidemment, nous faisons à la marge des paramétrages qui nous sont propres, mais ils sont désormais compatibles avec les montées de version. Régulièrement, nous bénéficions de nouvelles fonctionnalités ajoutées par 3DS, parfois développées selon nos attentes d’évolution». Quant au jumeau numérique en tant que tel, «cela fait un moment que nous l’utilisons dans telle ou telle phase de conception ou de simulation, mais jamais sur un développement global. Il y a environ un an, nous l’avons mis en œuvre sur une boite de vitesse. Le résultat a été suffisamment probant pour lancer RVT»!

500 personnes mobilisées sur le déploiement

Aujourd’hui, tous les véhicules en cours de production sont «importés» au sein de la solution avec la migration des données issues des systèmes. Ainsi, le jumeau numérique global va devenir un outil de productivité pour chacun des services. Une simple connexion web va permettre de visualiser et récupérer des données sur un véhicule à 360°. Le fournisseur de la pièce, le fabricant, les autres véhicules qui disposent de la même pièce, les tests qu’elle a subis... Tout dans sa globalité et jusqu'aux moindres détails des pièces utilisées sera accessible. Le jumeau rassemblera les données produit 2D et 3D, les systèmes logiciels, les essais CAE, le process engineering, les estimations de coût d’achat, la qualité des produits et l’après vente. «Aujourd’hui, toutes les grandes directions se décloisonnent grâce à cette réplique virtuelle! applaudit Olivier Colmard. La gestion 4.0 dépasse même l’univers de l’ingénierie. Avec les collaborateurs des services gestion, nous pouvons par exemple voir l’impact des coûts matières sur l’ensemble de la gamme Renault, les analyser et simuler des alternatives».

Le déploiement de RVT se fait vite à travers le Monde, en France, en Roumanie, en Amérique du Sud, en Corée ou en Inde. Quarante équipes sont mobilisées en mode agile, avec 4 trains en parallèle et des sprints de 3 semaines avec des releases tous les 3 mois. Elles travaillent sur le développement des outils, la migration des données et la formation. «Côté informatique, cela représente environ 250 collaborateurs et quasiment autant côté métiers, comptent Olivier Colmard et Denis Molle. À elle seule, l’entité RNTBCI partagée avec Nissan mobilise 140 personnes, dont 80 en informatique, pour suivre le rythme»! Et si un e-hub existe bien pour échanger avec Nissan qui dispose aussi de certains outils d’ingénierie en commun avec Renault, il n’est pas à ce stade prévu d’étendre le jumeau numérique. Aucune révolution n’est instantanée. À l’échelle de l’Alliance, la Renaulution attendra encore un petit peu…

• Kim Janiec et Xavier Fodor