Le jumeau numérique complet selon Siemens : une colonne vertébrale pour connecter l’ingénierie, la production et l’exploitation
Le jumeau numérique complet : une colonne vertébrale pour connecter l’ingénierie, la production et l’exploitation
Accélération digitale, manque de compétences, pression sur la compétitivité : face aux défis industriels actuels, le jumeau numérique complet ne se résume plus à une technologie : il devient une façon de reconnecter l’humain, l’ingénierie et l’outil industriel. Pour Jean-Marie Saint-Paul, Président de Siemens Digital Industries Software France, l’avenir de l’industrie repose sur une digitalisation progressive, guidée par le terrain et pilotée par une vision managériale forte. Il faut créer une continuité numérique de bout en bout, au service de la décision, de la performance… et des équipes.
Le contexte actuel n’est pas simple pour les entreprises. En quoi la digitalisation et les jumeaux numériques peuvent-ils concrètement aider à faire face et rester compétitif ?
L’objectif de la digitalisation et de ce que nous appelons chez Siemens le jumeau numérique complet est de mieux comprendre et surtout d’exploiter les données industrielles au service de la compétitivité. Très concrètement, il s’agit de prendre des décisions plus rapides et plus fiables, de réduire les prototypes physiques dans les phases d’ingénierie, d’optimiser des ressources qui sont de plus en plus rares, qu’il s’agisse des compétences ou des ressources matérielles, et de soutenir une amélioration continue des produits et des processus. Dans une période d’incertitude, la capacité à simuler, à anticiper et à ajuster en temps réel devient un levier majeur. Les jumeaux numériques s’appliquent à toutes les phases : conception, fabrication, mise en exploitation. Pour chaque entreprise, nous identifions où se situe la valeur la plus immédiate, puis nous échelonnons l’adoption. Le numérique reste, très concrètement, un outil indispensable pour aller chercher ces points de performance et d’optimisation dont toutes les entreprises ont besoin.
Vos solutions fréquemment déployées dans les grands groupes sont-elles aujourd’hui à la portée des PME ?
Totalement et l’explication repose sur deux volets : un technologique et un second pratico-pratique. D’abord, lorsque nous parlons de jumeau numérique complet chez Siemens, il ne s’agit pas d’un objet monolithique. L’approche du numérique doit rester modulaire et évolutive. Il y a donc un rôle de conseil de nos équipes pour accompagner notre client dans sa réflexion sur ce point, pour définir le point d’entrée et la suite. Une PME peut ainsi démarrer sur un périmètre restreint. Très souvent, les sociétés commencent par la simulation de postes de production ou par le CAD/PLM : ce sont deux portes d’entrée classiques qui donnent des résultats concrets et rapides. Par la suite, on va enrichir progressivement le jumeau numérique, au rythme des besoins et de la maturité de la réflexion ou de l’entreprise.
Ensuite, d’un point de vue purement pratique, le cloud abaisse fortement les barrières à l’entrée. La technologie est devenue mainstream et mieux acceptée par les entreprises. Résultat : on peut déployer en semaines plutôt qu’en mois ou en années. Et pour une PME, cela change tout, car il va démarrer par la simulation, le CAD ou le MES et très vite livrer une première valeur ajoutée.
Quel serait le « starter pack » pour bien démarrer ?
Il n’existe pas de recette unique, car on adapte au métier, aux produits et aux modes de fabrication. Mais on retrouve quatre points d’entrée récurrents et dont je viens de parler : le CAD/PLM pour structurer la conception et les données produit, la simulation pour explorer, dimensionner, éviter des itérations physiques. Ensuite, il y a le MES du côté fabrication pour piloter l’exécution et enfin l’IoT / données opérationnelles pour connecter l’exploitation.
Dans tous les cas, la première étape consiste à dialoguer avec les équipes pour établir un diagnostic : comprendre où ça bloque, où se forment les silos, et comment un flux digital peut les casser et stimuler la productivité. On pose des briques, puis on étend petit à petit. Cela peut aller jusqu’à l’intégration des données opérationnelles via l’IoT. L’objectif final, c’est de bâtir une colonne vertébrale numérique au sein de l’entreprise qui connecte l’ingénierie, la production et l’exploitation, et d’établir une boucle vertueuse entre l’usage, l’exploitation et la conception. Un chemin qui peut paraitre long, mais qui peut se faire de manière progressive et qui, encore une fois, a été simplifié par l’arrivée de solutions sur le cloud.
Certains nous disent, y compris dans de grands groupes : « Nous avons déjà CAD, PLM, MES, BOM… pas besoin de jumeau numérique ». Comment les convaincre ?
En réalité, c’est un peu comme Monsieur Jourdain, car bien souvent ils font du jumeau numérique sans l’appeler ainsi. Un modèle CAD, c’est en soi un jumeau numérique. Le défi n’est pas d’ajouter un énième outil. Il est de casser les silos et de relier les modèles dans une représentation cohérente et dynamique, du produit à la production, de la simulation au test, jusqu’à l’exploitation des données. Le terme « complet » est clé : on parle de continuité numérique. L’enjeu est de passer d’optimisations locales, par équipe ou par outil, à une optimisation globale du flux produit-process. Ce n’est pas qu’un sujet d’outils, c’est aussi une intégration dans les processus. D’où la nécessité d’une vision portée au plus haut niveau.
Justement si les équipes « font sans le savoir », qui doit porter la vision pour exploiter tout le potentiel ?
Il faut un portage exécutif qui embrasse la vision du cycle de vie complet : CEO, CIO, COO. On dépasse ici la technique pure pour toucher à l’organisation et à l’humain. Une entreprise compétitive ne peut pas être une somme de silos. On crée de la valeur en connectant les expertises et en orchestrant la continuité numérique de bout en bout. L’outil est important, mais la vision l’est tout autant.
Le terme « jumeau numérique complet » est récent dans la sémantique Siemens. Quelle est la différence avec « les jumeaux numériques » au sens large ?
Le jumeau numérique complet oppose une vision globale à des visions locales. Il s’agit de garantir la cohérence entre les modèles, la réutilisation des données et une optimisation continue sur tout le cycle de vie : produit, production, performance, chaîne d’approvisionnement. Les entreprises sont désormais bien équipées sur des usages métier ; la question est comment connecter les points pour obtenir un flux de bout en bout, véritablement systémique.
Et l’IA dans tout ça : quel type d’IA et comment l’intégrez-vous ?
Pour nous, l’IA est un vraiment un moteur d’analyse et de prédiction. Elle sert à extraire de l’information à partir du jumeau numérique, anticiper des comportements, simuler des scénarios et automatiser certaines décisions. Nous l’intégrons partout pour rendre le jumeau plus intelligent, plus aidant, plus réactif et plus autonome.
Mais l’industrie impose des exigences supérieures en termes de robustesse, de sécurité et de confiance. On tolère un biais dans un email, mais pas dans le pilotage d’une usine. Il y a définitivement un écart entre l’IA grand public et l’IA industrielle. Nous testons donc nos IA dans nos propres usines, pour atteindre les standards industriels. Et nous voulons démocratiser ces IA et les rendre pilotables. La transparence du raisonnement et la validation humaine sont essentielles. L’IA accompagne et suggère, elle ne remplace pas. L’humain est toujours dans la boucle et c’est lui qui pilote et décide.
Par exemple, dans le cadre du plan France 2030, REDEX, ETI experte en mécanique de précision basée au sud d’Orléans et Siemens collaborent pour créer une nouvelle génération de machines industrielles intelligentes. Siemens apporte son expertise en intelligence artificielle pour rendre ces équipements capables d’anticiper les pannes, d’optimiser la production et de faciliter le travail des opérateurs. Ce projet, soutenu par son écosystème de start-ups françaises, illustre comment la technologie peut accélérer la modernisation de l’industrie tout en renforçant sa sécurité et sa performance.
Pour finir, quels sont aujourd’hui les secteurs les plus dynamiques en matière de jumeau numérique global ?
L’aéronautique reste historiquement très dynamique. L’industrie pharmaceutique accélère fortement. L’énergie connaît un regain avec la transformation des énergies classiques dont le nucléaire et l’émergence de nouvelles filières comme l’hydrogène. Je citerais aussi les biens de consommation de la conception d’un vélo électrique à celle d’un produit cosmétique. L’innovation y reste forte et les exigences de traçabilité et de durabilité s’intensifient, sous l’impulsion des consommateurs et des régulateurs.
Propos recueillis par Xavier Fodor

