Bouygues Construction : le digital twin sans fard

Publié le 11 janvier 2024 par Xavier Fodor

Bouygues Construction : le digital twin sans fard

DesignLab, le pôle R&D de Bouygues Construction, a organisé une conférence sur la thématique "Bâtir le futur avec le Jumeau Numérique". Loin d'une énième présentation de POC et d'affirmation de dogmes, elle s'est vite transformée en un moment intéressant mêlant argument, questionnement, autocritique et perspectives au pluriel.

La petite neige en région parisienne n’aura pas eu raison de l’une des toutes premières conférences de l’année dédiée au jumeau numérique. Organisée par le DesignLab, le département R&D de Bouygues Construction, cette matinée se voulait comme « un partage de connaissance entre acteurs d’un projet de construction, concepteurs, constructeurs, utilisateurs ». Ses co-organisateurs, Laure Ducoulombier, Responsable du pôle DesignLab, et Jérôme Loywick, Chef de projet Jumeaux Numériques, en sont d’ailleurs convaincus : « le sujet du jumeau numérique va au-delà du « buzz word ». Il a le potentiel de transformer l’industrie de la construction, mais il faut le comprendre et voir son impact sur le secteur ».

Ainsi, les travaux de recherche qu’ils mènent avec leur équipe ont servi à remettre à plat la définition même du terme « jumeau numérique de la construction » seulement apparu en 2021 chez Bouygues. Avec l’aide du cabinet Niji, l’écosystème a été cartographié, les opportunités de valeurs identifiées, tout comme l’état du marché avec les forces et faiblesses des différents acteurs. Ces recherches ont d’ailleurs abouti à la rédaction d’un livre blanc « Les jumeaux numériques vont-ils révolutionner l’industrie de la construction ?», disponible en téléchargement sur Twin+. Ces « interrogations » sont aussi à l’origine de la participation de Bouygues Construction à la création d’une chaire avec l’ESTP et l’ENSAM, Egis, Schneider, le BRGM et SNCF réseau : « un travail fédérateur d’expériences ».

« Le jumeau numérique, c’est l’expression numérique et digitale d’un système physique, dont l’objectif est de pouvoir accéder à toutes les informations, de simuler et tester avec un coût moins élevé qu’un travail sur un objet réel, définissait Thiébault Clément, directeur R&D Innovation de Bouygues Construction. Il permet d’augmenter la qualité et la fiabilité, en prenant en compte le comportement des ouvrages. Il offre un biais pour répondre aux quatre défis d’un groupe comme Bouygues en termes de conception et construction à impact neutre, d’amélioration de la performance et de la qualité des chantiers et des méthodes, de répondre à la pénurie de main-d’œuvre et la perte d’expertise et enfin de mieux prendre en compte les besoins des usagers pour concevoir autrement ».

Apprendre de ses échecs

Utilisés depuis une vingtaine d’années, notamment dans l’industrie, les jumeaux numériques sont plus récents dans la construction. On cherche encore leur voie et il faut souvent les justifier. Le jumeau numérique est souvent opposé, apposé ou comparé au BIM. Or, comme le rappelait Bertrand de Peufeilhoux, manager du projet BRYCK, « le BIM est effectivement un succès qui permet de réaliser des gains de productivité de l’ordre de 30% en phase de conception. Mais quel échec lorsqu’arrivés sur le chantier, les plans sont remis à plat et imprimés en papier » ! D’où l’intérêt que « le jumeau numérique ne regarde pas seulement l’ouvrage et la maquette du projet. Son but doit être d’anticiper la mise en œuvre des éléments sur le chantier ».

Le groupe Bouygues n’avance pas seul dans son appréhension du jumeau numérique. Dassault Systèmes l’accompagne notamment au sein de BRYCK et leur partenariat vient d’ailleurs de renouveler à long terme, jusqu’en 2030. Ce projet est en quelque sorte le bac à sable de toutes les approches à appréhender, donnant aussi l’occasion d’apprendre de ses échecs.

Ainsi, Rémi Dornier, Vice-Président AEC Industry chez Dassault Systèmes rappelait l’idée initiale de son groupe de dupliquer dans la construction ce qui bien fonctionnait ailleurs, notamment dans l’industrie. « Si nous avions pu adapter le système de productivité manufacturière, nous l’aurions fait. Nous sortons des mêmes écoles d’ingénieurs que nos collègues de l’industrie… Si on ne l’a pas fait, c’est que ce n’est pas possible ; les schémas ne sont pas les mêmes ! Un programme automobile, c’est 20 projets et 3.500 fournisseurs. Bouygues mène 3.500 projets avec 250 entreprises. BRYCK, qui a pour base line “new way to build”, se fixe l’objectif de constater sur les chantiers les solutions à adopter. Par exemple, on voit que sur un chantier un conducteur de chantier fait 10 km par jour. Il lui faut donc une solution mobile… »

Dans une contrition fort constructive, Rémi Dornier présentait la vidéo d’un jumeau numérique d’une construction technique complexe (photo) : « Nous avons tout modélisé dans le moindre détail, chaque objet, pour mettre le jumeau numérique dans les mains des achats. Résultat : le coût était équivalent à 10% du projet et le temps de modélisation a été supérieur au temps du chantier ! En plus, nous avons eu des problèmes d’intégration des objets. Cette mésaventure nous a permis d’avoir désormais plus de pragmatisme dans la démarche selon le besoin. Et d’être convaincu qu’un jumeau numérique sans changement de méthodes, ça ne fonctionne pas »…

Dans une autre intervention, Alain Despiau-Peyralade, Consultant expert Smart Building Digital Twin et IoT chez EDF, relevait un autre point important en rappelant que le retour sur investissement d’un jumeau numérique restait difficile à appréhender, sans que cela ne soit pas forcément trop préjudiciable. « Microsoft n’a absolument pas d’idée du ROI de Windows, or il y en a un extraordinaire par le biais de l’écosystème qui se greffe autour de son système d’exploitation ». Il invitait cependant à être vigilant dans les choix à réaliser. Il prenait l’exemple des API inévitables à mettre en place pour échanger de données entre acteurs ou applications : « une API ouverte est totalement différente d’une API publique ouverte. La différence peut se transformer en piège et gouffre financier »…

Des mises en œuvre réussites

Au-delà de ces aveux rarement exposés en public (alors que totalement logiques et acceptables), de superbes exemples de mise en œuvre de jumeaux numériques ont été exposés, couvrant tout le spectre de la construction de la LGV HS2 entre Londres et Birmingham en Grande-Bretagne à l’aide de plusieurs digital twins ou d’une extension de ligne de métro MTR 1201 à Hong-kong (où l’utilisation du jumeau numérique, de l’IoT et même de l’IA, pour la protection des ouvriers donnent un superbe cas d’usage inenvisagé en Europe), en passant par l’exploitation performante d’un bâtiment intelligent à CentralSupelec par Bouygues Energies & services (photo). Deux géomaticiennes de Rennes Métropole ont également ouvert d’autres perspectives en détaillant la démarche et l’intérêt du jumeau numérique territorial. À Rennes, il sert désormais de base à l’utilisation par le grand public d’applications par exemple de cadastre solaire pour être guidé dans son installation de panneaux photovoltaïques. Un autre exemple était donné dans la concertation autour de projets de réseaux de transports urbains.

« Nous ne sommes pas dans l’industrialisation de masse du jumeau numérique, mais dans l’industrialisation sur mesure, selon les besoins et le potentiel à atteindre, affirmait Bertrand de Peufeilhoux. Le jumeau numérique peut aider à choisir le meilleur mode constructif. La connaissance et la compétence humaines restent maitresses, mais le jumeau numérique aide à prendre la décision. La virtualisation sert à anticiper, à mieux choisir et analyser les choix à faire ». 

En conclusion, Jean-Philippe Trin, Directeur général délégué de Bouygues Construction, affirmait que « tout ce qui avait été vu durant cette conférence est important pour une entreprise comme Bouygues dans une vision à long terme. Le jumeau numérique demande un changement de positionnement, mais qui doit dépasser son propre point de vue. Le jumeau numérique va intervenir et servir dans toutes les phases d’un projet, de la conception à l’exploitation. Il est surtout important de se projeter dans l’exploitation, car c’est l’attente du client. Cependant, il faut être vigilant à ne pas mettre du jumeau numérique partout. Nous devons cibler les opérations et les cas d’usage où le jumeau numérique a de la valeur pour nos clients, les utilisateurs et pour nous lors de la construction ».

Un pragmatisme engageant qui offre de belles perspectives en ce début 2024.

 Xavier Fodor


  Livre blanc "Les Jumeaux numériques vont-ils révoultionner l'industrie de la construction ?" à télécharger sur Twin+

  Blog innovation de Bouygues Construction

  Retrouvez prochainement sur en rubrique vidéo différentes séquences de cette conférence 

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